"Le temps peut passer et les convulsions sociales du monde ravager les pensées des hommes, Je suis sauf de toute pensée qui trempe dans les phénomènes. Qu'on me laisse à mes nuages éteints, à mon immortelle impuissance, à mes déraisonnables espoirs. [...]"
Antonin Artaud
Extrait de Fragments d'un Journal d'Enfer
Je me délivre de ce conditionnement de mes organes si mal ajustés avec mon moi, et la vie n'est plus pour moi un hasard absurde où je pense ce que l'on me donne à penser. Je choisis alors ma pensée et la direction de mes forces, de mes tendances, de ma réalité. Je me place entre le beau et le laid, le bon et le méchant. Je me fais suspendu, sans inclination, neutre, en proie à l'équilibre des bonnes et des mauvaises sollicitations.
Car la vie elle-même n'est pas une solution, la vie n'a aucune espèce d'existence choisie, consentie, déterminée. Elle n'est qu'une série d'appétits et de forces adverses, de petites contradictions qui aboutissent ou avortent suivant les circonstances d'un hasard odieux. Le mal est déposé inégalement dans chaque homme, comme le génie, comme la folie. Le bien, comme le mal, sont le produit des circonstances et d'un levain plus ou moins agissant.
Il est certainement abject d'être créé et de vivre et de se sentir jusque dans les moindres réduits, jusque dans les ramifications les plus impensées de son être, irréductiblement déterminé. Nous ne sommes que des arbres après tout, et il est probablement inscrit dans un coude quelconque de l'arbre de ma race que je me tuerai un jour donné.
Même pour en arriver à l'état de suicide, il me faut attendre le retour de mon moi, il me faut le libre jeu de toutes les articulations de mon être. Dieu m'a placé dans le désespoir comme dans une constellation d'impasses dont le rayonnement aboutit à moi. Je ne puis ni mourir, ni vivre, ni ne pas désirer de mourir ou de vivre. Et tous les hommes sont comme moi.
Antonin Artaud,
Extrait de Sur le suicide
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"Si je me tue, ce ne sera pas pour me détruire, mais pour me reconstituer. Le suicide ne sera pour moi qu'un moyen de me reconquérir violemment, de faire brutalement irruption dans mon être, [...]. Par le suicide je réintroduis mon dessin dans la nature, je donne pour la première fois aux choses la forme de ma liberté.